Au sein d’un projet thérapeutique multidisciplinaire et individualisé, la douleur doit être prise en charge sur le plan fonctionnel mais aussi sur le plan émotionnel puisqu’une relation réciproque est présente entre douleur et émotions, ces dernières venant maintenir, aggraver ou de nouveau déclencher le processus douloureux.
1° Stratégies d’ajustement
Les stratégies d’ajustement (coping) font appel à l’ergothérapie (adapter, restaurer ou maintenir les activités) et aux améliorations de l’environnement pour diminuer les situations d’handicap fonctionnel et donc de ses répercussions émotionnelles :
Harnais, orthèses, surélévation des gamelles, tapis antidérappant, matelas à mémoire de forme, rampe ou escabeau d’accès, phéromones …
Les stratégies d’ajustement concernent aussi la régulation des émotions négatives en renforçant les liens du propriétaire avec son animal : temps consacré, nursing, massages, éducation thérapeutique (compétences évaluatives et de soins) …
2° Exercices physiques à faible impact
Les exercices physiques à faible impact en évitant la sédentarité participent au contrôle du poids, au maintien de la musculature et à prévenir l’agravation de l’ankylose. Le propriétaire mène ces exercices modérés avec sollicitude, renouant des liens de proximité avec son animal, propices à atténuer les émotions négatives.
3° Physiothérapie manuelle et instrumentale
La pratique régulière de massages par le propriétaire représente un rituel privilégié de complicité, source de relaxation musculaire et de réconfort. Les exercices de mobilisation articulaire passive (PROM : extension-flexion …) ou active (AROM : cavaletti …) sont initiés par le vétérinaire et repris par le propriétaire sous forme de jeux.
La physiothérapie laser est conseillée car en stimulant la production d’endorphines, elle réduit la peur et l’anxiété.
La physiothérapie par ondes de choc est déconseillée car elle génère une double douleur physiopathologique (ouverture des mécano et barorécepteurs) et procédurale (apréhension de l’animal) ; son action délétère sur le cartilage arthrosique (dégradation du collagène et hyperhydratation) a été récemment démontrée (9)
4° Cannabidiol
Le cannabidiol est un phyocannabinoïde issu de Cannabis sativa, dénué d’effet psychoactif (au sens récréatif du terme), contrairement au THC. Le CBD n’a pas d’affinité particulière pour les récepteurs CB1 et CB2 du système endocannabinoïde ; il est un modulateur allostérique, c’est-à-dire qu’il modifie la forme et donc le fonctionnement de ces récepteurs avec des conséquences sur l’efficacité du signal cellulaire. Le CBD agit davantage sur la composante émotionnelle de la douleur que sur la stimulation nociceptive. Les propriétés anxiolytiques (apaisantes selon le ressenti des propriétaires) seraient en relation avec l’implication du système sérotoninergique (affinité pour les récepteurs 5-HT1A, 2A, 3A).
L’effet d’inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRS) augmente les contrôles inhibiteurs descendants issus du tronc cérébral et participe à une analgésie généralisée et durable (10).
Une étude israélienne observationnelle de 2018 a porté sur la prise en charge de la douleur par des cannabinoïdes chez 2970 patients cancéreux. Les résultats à 6 mois montrent une amélioration significative (51%) ou modérée (45%) pour les 67% des patients ayant poursuivi le traitement ( 10% d’arrêt de traitement et 22% de décès).
La meilleure efficacité a été relevée pour l’anxiété (84%), l’agitation (88%) et l’insomnie (88%) (11).
Plusieurs études ont montré que chez l’homme les phytocannabinoïdes amélioraient la qualité et la durée du sommeil pour les les patients traités principalement pour la douleur, la maladie de Parkinson, l’apnée du sommeil, les troubles anxieux et l’état de stress post-traumatique (12) (13).
5 Psychotropes
Chez l’homme, les antidépresseurs possèdent une activité antalgique propre indépendante de leur effet thymorégulateur, liée à une inhibition de la recapture des monoamines (sérotonine et noradrénaline) au niveau des voies inhibitrices descendantes de la douleur et à un effet périphérique (blocage des récepteurs sodiques voltage-dépendants) (14).
Des arguments cliniques corroborent ces données expérimentales : analgésie obtenue à des posologies inférieures à celles nécessaires à l’effet sur l’humeur, délai d’action plus bref, efficacité également observée chez des patients douloureux non dépressifs (15).
Les antidépresseurs tricycliques (clomipramine) ont une efficacité reconnue contre les douleurs neuropathiques mais des effets indésirables histaminiques, anticholinergiques et α1 adrénergique peuvent survenir.
Des antidépresseurs plus récents (duloxétine, mirtazapine) présentent une balance bénéfices-risques plus favorables.
Les ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) semblent dépourvus d’effets antalgiques (16).
Conclusion :
Les interactions entre douleurs, émotions et cognition sont complexes, interactives et très souvent auto-agravantes.
La douleur est construite par rapport à un contexte préexistant d’un vécu douloureux et en fonction d’une situation environnementale : la situation, les émotions, les attentes de l’animal, le lien avec le propriétaire, ont une influence, positive comme négative.
La prise en charge raisonnée et protectrice des douleurs chroniques doit dorénavant s’intéresser à ce triptyque en explorant davantage l’expérience construite de la douleur.
La méthode évaluative proposée (médecine narrative, CSOM, examen clinique et parcours de suivi) devrait aider à réaliser cet objectif.
La composante émotionnelle de la douleur est utilement prise en charge par des stratégies d’ajustements, la physiothérapie, probablement par le cannabidiol, éventuellement par les psychotropes après l’évaluation de la balance bénéfices / risques.