Intérêts des objets connectés
dans le monitoring de la douleur chronique

3 mars 2023

Raphaëlle Laffitte – Anesthésie et Analgésie – CAPDOULEUR 2023

L’impact de la douleur chronique sur la qualité de vie des carnivores domestiques a été  largement documenté au cours des dernières années. La douleur chronique est maladaptative et  délétère, elle regroupe plusieurs composantes et altère sévèrement la qualité de vie des animaux  domestiques. Lorsqu’un praticien vétérinaire fait face à un patient souffrant de douleurs chroniques,  plusieurs opportunités thérapeutiques s’offrent à lui. Le premier axe de traitement peut être  chirurgical, il consiste à traiter spécifiquement l’origine de la douleur chronique (cancer, arthropathie  dégénérative, hernie discale chronique, gingivostomatite chronique féline…). Ce traitement  chirurgical permet de résoudre tout ou partie de la douleur chronique et améliore, lorsqu’il est  possible, significativement la qualité de vie de l’animal. Néanmoins, les conséquences antérieures de  la douleur chronique ne sont pas entièrement traitées par approche chirurgicale. Certaines  pathologies engendrant de la douleur chronique peuvent ne pas être prises en charge  chirurgicalement (cystite chronique idiopathie, neuropathie diabétique, etc.).  

Un second axe de traitement est donc l’approche médicamenteuse. En fonction de l’étiologie  de la douleur chronique, certaines thérapeutiques sont plus ou moins adaptées. Le traitement  spécifique de la pathologie est nécessaire, dans le cas de maladies métaboliques associés à des  douleurs chroniques par exemple (hypercorticisme, diabète, etc.). En fonction des composantes de  la douleur chronique dont souffre le patient (inflammatoire, neuropathique, nociceptive ou  fonctionnelle), différents traitements médicamenteux peuvent être administrés au patient. Les anti inflammatoires, stéroïdiens ou non stéroïdiens, administrés par voir locale, systémique ou orale sont  une arme redoutable pour limiter le cycle inflammatoire qui entretient la plupart des douleurs  chroniques. Les gabapentinoïdes limitent la sensibilisation centrale et l’apparition de la douleur  neuropathique. Les dérivés opioidiques (e.g. tramadol) sont utiles lors de crise de douleur aigue dans  un contexte de douleur chronique. Les antagonistes NMDA que sont la kétamine et l’amantadine  font barrière au wind-up et à l’hyperesthésie. Enfin de nombreuses thérapeutiques émergent et  complètent ces arsenaux tels que les anticorps monoclonaux anti-NGF et les cannabinoïdes (CBD et dérivés) qui montrent une efficacité clinique de mieux en mieux documentée pour un éventail élargi  de maladies entrainant des douleurs chroniques.  

Un troisième axe de traitement des douleurs chroniques, complémentaire aux deux autres,  est la mobilisation du système musculo-squelettique des patients par des traitements physiques  comme la physiothérapie ou l’ostéopathie. Parfois, le maintien du niveau d’activité physique d’un  animal participe à sa bonne qualité de vie. Par exemple, certains patients souffrant d’obésité sont  plus à risque de développer de l’arthrose. Un cercle vicieux se met en place : des maladies  cardiovasculaires associées peuvent apparaitre, le patient montre des difficultés à se déplacer et  peut souffrir de troubles du sommeil du fait des douleurs chroniques. Pour l’animal obèse, un  programme alimentaire (nutrition clinique) et une activité journalière adaptée peuvent aider à la  perte de poids et limiter son impact sur le développement de douleurs chroniques. Celles-ci sont  souvent responsables de l’augmentation de la sédentarité des carnivores domestiques : c’est ce que  l’on observe chez les chiens et chats développant de l’arthrose. A terme, l’animal limite ses  comportements physiologiques (alimentation, déplacements, sauts, interactions avec ses  propriétaires, toilettage, etc.) et peut démontrer des changements de comportements importants comme une apathie, une agressivité, des comportements d’automutilation…

Il existe plusieurs manières de monitorer la douleur chronique des animaux domestiques.  Des échelles de scoring de douleur sont adaptées à l’utilisation par les propriétaires pour l’évaluation à domicile de la douleur ou de la qualité de vie de leur animal. Ces outils métrologiques ont  démontrés leur spécificité et leur sensibilité dans le suivi des douleurs chroniques : ce sont les  échelles CBPI (Canine Brief Pain Inventory index), LOAD (Liverpool OsteoArthritis in Dog index), HCPI 

(Helsinki Chronic Pain Index). Elles sont pour la plupart adaptées aux animaux souffrant d’arthrose et reposent sur des critères subjectifs et/ou qualitatifs, elles peuvent être biaisées par un effet placebo  du propriétaire. Des applications sur smartphones existent pour le suivi de la douleur des carnivores  et des lapins. Elles autorisent une approche individualisée de l’animal et une alliance thérapeutique  entre le vétérinaire et le propriétaire.  

Depuis une quinzaine d’années émergent donc des outils connectés basés sur la mesure de  paramètres physiologiques quantitatifs cherchant à corriger ces biais. Ces instruments permettent la  collecte de données à domicile dans un environnement connu par l’animal. Certaines études  montrent que l’utilisation de body/harnais ou collier connectés est particulièrement intéressante  dans le suivi de l’activité physique des animaux en postopératoire immédiat. Avant la mise en place  d’un traitement pour juger de son efficacité ou pour suivre la variation d’activité journalière, les  accéléromètres transmettent les résultats par bluetooth au propriétaire sur une plateforme dédiée.  Ces données peuvent être confiées au vétérinaire traitant qui met en place ou adapte un traitement antalgique. Aujourd’hui, les moniteurs d’activité reposent sur des technologies nouvelles issues de la  rhumatologie humaine. Leur taille permet leur utilisation sur les animaux de toute taille. Ils autorisent la quantification de l’activité de l’animal, sa durée et son intensité. Ils sont résistants à  l’eau, rechargeables et pour certains programmables pour l’enregistrement de données sur une  certaine période. Leur utilisation est croissante en Amérique du Nord et en Europe, elle permet d’évaluer simplement l’apparition de signes précoces de douleur chronique comme leur évolution au  cours de la journée ou de la vie de l’animal. En effet, l’augmentation de l’activité journalière est  directement corrélée à la diminution des douleurs chroniques chez l’animal arthrosique. Certains  traitements peuvent cependant provoquer des comportements d’apathie ou de sédation (ex : gabapentine chez le chat), le monitoring porté permet d’identifier ces phases et d’adapter la  thérapeutique au besoin.

La mesure de la fréquence cardiaque, respiratoire et de la température est  une option proposée par ces colliers connectés. Cela peut être utile pour un praticien qui cherche à  évaluer l’efficacité du traitement d’une cardiopathie par exemple, elle-même influençant directement le niveau d’activité de l’animal concerné. Certains colliers connectés disposent de  technologie GPS qui détermine les périmètres de déplacement des chats. Une augmentation des  déplacements peut être le signe d’un confort retrouvé (meilleure habilité à se déplacer). Des litières  connectées font leur apparition dans l’arsenal des objets connectés. Elles peuvent mesurer les forces  exercées au sol de la litière, détecter une modification des appuis de l’animal et identifier une  douleur précoce. Elles permettent aussi de quantifier les passages à la litière, la quantité d’urine et  de selles émises par le chat. Cela est notamment utile pour le suivi d’un chat souffrant de cystites idiopathiques récurrentes.

De nombreuses gamelles connectées sont disponibles, elles identifient  l’animal par reconnaissance faciale ou par détection de sa puce électronique. Elles enregistrent la qualité et la quantité d’aliment consommé par l’animal. Elles sont utiles dans le suivi de  recommandations alimentaires prescrites par le vétérinaire. Les chats souffrant de gingivostomatite  chronique présentent une réduction de leur prise alimentaire du fait des douleurs inflammatoires  chroniques sévères de la cavité buccale.

Après une prise en charge chirurgicale ou médicamenteuse, l’augmentation de la prise alimentaire suggère le rétablissement du confort buccal. Pour la  consommation d’eau, des fontaines préviennent le propriétaire d’un abreuvement excessif, signe  d’une insuffisance rénale chronique par exemple.  

Ces innovations technologiques s’inscrivent dans la tendance à la digitalisation de la  médecine vétérinaire et à l’intégration progressive du propriétaire dans le suivi thérapeutique. La  participation de ce dernier dans le monitoring de la douleur chronique via des applications ou des  objets connectés permet une approche individualisée, précoce et pérenne de chaque animal. Ces  technologies sont complémentaires à un examen clinique de l’animal. Elles ne doivent pas remplacer  un examen physique régulier du patient par son vétérinaire, qui reste absolument essentiel pour un  suivi antalgique adapté.  

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