Alliance thérapeutique et douleurs chroniques

3 octobre 2023

Selon l’OMS, l’Observance reflète le comportement d’une personne (prise de médicaments, régime alimentaire et/ou modification du mode de vie) respectant les recommandations convenues avec un professionnel de santé 

OMS:  World Health Organization, Adherence to long-term therapies; evidence for action, 2003

Médecines humaine et vétérinaire partagent le même déficit d’observance dans la prise en charge des douleurs chroniques en raison du comportement du professionnel de santé (disponibilité insuffisante, objectifs flous, conviction non affichée, attitude dogmatique ou autoritaire, etc …) et du patient ou du propriétaire de l’animal : non adhésion non intentionnelle (oubli, mauvaise lecture, incompréhension …) ou intentionnelle (peur des effets indésirables, dépendance, préjugés, fatalisme, lassitude, manque d’implication, résistance et freins psychologiques, réactance et opposition marquée, échec relation avec le soignant, etc …)

L’Alliance thérapeutique (AT) et ses changements de paradigme dans la relation soignant – patient/propriétaire peuvent apporter une réponse au déficit d’observance constaté dans la prise en charge des douleurs chroniques et des solutions aux causes majeures d’impasse thérapeutique, de nomadisme médical ou encore d’arrêt de soins.

L’AT du latin ad ligatere (se lier avec) se définit comme une collaboration active, entre le soignant et le patient/propriétaire, basée sur une appréciation partagée des problèmes et un accord sur les solutions possibles. 

Pour mettre en place l’AT dans le cadre de la prise en charge des douleurs chroniques, le praticien peut utiliser la méthodologie suivante : 

Quadruple accord, double déclinaison et quadruple savoir.

1° Quadruple accord : Application aux douleurs arthrosiques

1.1 Accord sur les origines et les conséquences de la pathologie douloureuse

L’arthrose est maladie dégénérative et inflammatoire, pluritissulaire et invalidante.

Il n’y a pas une arthrose mais des arthroses : conformationnelle (dysplasie, NPUA, OCD …), mécanique acquise (trauma direct, surutilisation…), à médiation immune (ostéoarthrite, polyarthrite, maladie du LCA…).

Il n’y a pas une arthrose mais des arthroses de phénotype :

  • Métabolique (lié à l’obésité)
  • Post-traumatique ou post-dysplasique
  • Lié au vieillissement 

avec des signes cliniques observables variant selon les principaux facteurs de risques. 

Il n’y a pas une douleur mais des douleurs arthrosiques de type mécanique, inflammatoire, neuropathique et/ou nociplastique.

Il y a un 1er cercle vicieux physiopathologique délétère associant la baisse de la mobilité, l’amyotrophie, l’instabilité, l’ankylose à une sensibilité accrue à la douleur. Ces variables sont mesurables relativement objectivement.

Il y a un 2ème cercle vicieux physiopathologique délétère associant des émotions négatives sources d’anxiété, d’états dépressifs, d’irritabilité voire d’agressivité, de troubles du sommeil à une perception accrue de la douleur. 

Ces variables sont évaluables éminemment subjectivement.

1.2 Accord sur les objectifs du projet thérapeutique

Les objectifs sont doubles et doivent être pragmatiques, réalistes et partagés avec le propriétaire :

1.2.1 Amélioration de la mobilité

Un handicap fonctionnel peut être toléré et amendé par des stratégies pharmacologiques (AINS), de biothérapies (Anticorps monoclonaux anti-NGF, Cellules souches mésenchymateuses néo-natales), de coping (terme anglais qui signifie littéralement « faire avec ») basées sur l’adaptation de l’environnement et l’ergothérapie (orthèses).

1.2.2 Préservation de la qualité de vie

Un contrôle insuffisant des douleurs neuropathiques et/ou nociplastiques (hyperalgésie, allodynie), la persistance de troubles émotionnels à l’origine de troubles du comportement (anxiété, états dépressifs, irritabilité ou agressivité, dyssomnies) altèrement gravement la qualité de vie. 

Un mal-être permanent inacceptable doit interroger sur la persistance éthique des soins.

1.3 Accord sur les solutions apportées = le projet thérapeutique

Le projet thérapeutique doit être multimodal, pluridisciplinaire et individualisé.

Les propositions thérapeutiques sont envisagées sous les angles du niveau de preuves scientifiques et de l’expérience du clinicien, d’un rapport bénéfices risques favorable, de la faisabilité et enfin d’un coût acceptable pour le propriétaire.

1.4 Accord sur les engagements réciproques : Propriétaire et équipe

Le propriétaire s’engage à suivre les recommandations qu’il a acceptées : évaluation de la douleur, prise de médicaments, actes de physiothérapie manuelle et/ou instrumentale, amélioration de l’environnement, exercices physiques à faible impact …

L’équipe vétérinaire s’engage dans une médecine de la douleur dite des 6P : 

  • Personnalisée : fonction des caractéristiques individuelles (sensibilité et expression clinique) et du profil de risque génétique et environnemental.
  • Préventive tertiaire : mettant en œuvre des actes visant à amoindrir les effets et séquelles d’une pathologie ou de son traitement par réadaptation du patient et maintien d’une qualité de vie médicale, émotionnelle et sociale
  • Prédictive : recherchant les facteurs de risques (approche phénotypique) et diagnostiquant les mécanismes (approche endotypique)
  • Participative : engageant le propriétaire dans l’alliance et l’éducation thérapeutique
  • Pertinente : fondée sur les preuves de la médecine factuelle
  • inscrite dans un Parcours de suivi pour adapter en permanence le projet thérapeutique, tenant compte de l’évolution défavorable de la progression de la maladie arthrosique mais aussi des progrès obtenus sur la mobilité et la qualité de vie.

2° Double déclinaison

2.1 Médecine pro-active de la douleur chronique

Le praticien abandonne les démarches purement réactives (face à de nouveaux accès douloureux) ou stéréotypées (procédures standardisées uniformes) pour une médecine pro-active de la douleur : évaluation digitale de la douleur, projet thérapeutique argumenté fondé sur les preuves, rendez-vous de suivi, éducation thérapeutique du propriétaire …

2.2 Médecine préventive tertiaire des douleurs chroniques

La médecine préventive tertiaire s’adresse à un animal qui a une maladie (arthrose anatomique confirmée radiologiquement) et qui est malade (arthrose clinique).

L’objectif est de diminuer à la fois la fréquence et la sévérité des rechutes, et donc d’améliorer la qualité de vie, en contrôlant le régime alimentaire, en aménageant l’environnement, en réalisant des séances de massages quotidiennes, de laser ou d’hydrothérapie tous les mois, en administrant régulièrement des AINS (titration) ou mensuellement des anticorps monoclonaux …

Le but est donc de centrer la prévention sur la diminution des récidives (fréquence et intensité) et la réduction des potentielles complications ou rechutes, pouvant entraîner à terme des incapacités chroniques.…

3° Quadruple savoir

3.1 Savoir recevoir les informations et connaissances du propriétaire

Selon William Osler, le père de la médecine moderne au début du siècle dernier et pionnier de la pratique de l’enseignement au chevet du malade :

Si vous écoutez attentivement le patient, il vous donnera le diagnostic 

Un temps d’écoute dévolu à la médecine narrative amarre un 1er ancrage relationnel, révélateur de l’intérêt et des qualités humaines du praticien. 

La médecine narrative se définit comme une compétence qui permet de  » reconnaître, absorber, interpréter et être ému  » par les histoires de personnes malades. Appliquée à la médecine vétérinaire, la médecine narrative devient une compétence acquise par le praticien qui sait interpréter les récits de l’histoire douloureuse de l’animal de compagnie ainsi que les circonstances de survenue des douleurs. 

L’écoute est passive, accompagnée d’un langage corporel attentif, suivie d’une écoute active, bienveillante, écartant les questions fermées (aux réponses binaires) pour des questions ouvertes commençant par « comment » et « pourquoi ». 

Le propriétaire est invité à exprimer ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il pense et ce qu’il craint pour son animal (Je ne veux pas qu’il souffre).

La médecine narrative répond à la demande d’écoute du propriétaire, affiche l’empathie du praticien et devient une source dynamique de collaboration et d’adhésion thérapeutique

3.2 Savoir donner du temps

La prise en charge optimisée des douleurs chroniques nécessite un temps de consultation plus long et donc des plages horaires dédiées. Le clinicien consacrera au minimum 30 minutes, préférentiellement 45 minutes, idéalement 1 heure de consultation. 

Savoir donner du temps, c’est prendre son temps pour éviter d’en perdre.

Savoir donner du temps pour expliquer et convaincre, c’est éviter de perdre … un propriétaire.

3.3 Savoir transmettre : Éducation thérapeutique du propriétaire

Selon l’OMS, l’éducation thérapeutique du patient vise à aider celui-ci à acquérir ou maintenir les compétences dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec une maladie chronique.

Adapté à la médecine vétérinaire, l’éducation thérapeutique du propriétaire vise à l’aider à participer activement au projet thérapeutique permettant d’améliorer la qualité de vie de son animal douloureux chronique.

La qualité de l’information transmise par l’équipe vétérinaire repose sur des critères d’actualité des connaissances et sur des critères pédagogiques soucieux de la bonne compréhension des explications. 

Les douleurs chroniques seront définies par comparaison avec les douleurs aiguës : l’image d’un cablage électrique en surchauffe, détérioré par le temps et transmettant un message distordu peut être utilisée. 

Les fausses croyances sont écartées : la résignation et le fatalisme qui amènent souvent à l’équation « âge = douleurs », le rôle prétendument néfaste de l’exercice physique, la surestimation des effets indésirables (AINS), de la dépendance (opioïdes) ou des promesses thérapeutiques (cannabis).

3.3.1 L’éducation thérapeutique consiste à donner des compétences évaluatives

La triple Approche Fonctionnelle, Qualitative et Emotionnelle de la Douleur (AFQED) permet de distinguer un handicap fonctionnel tolérable d’une souffrance indicible, incompatible avec le respect de la qualité de vie. 

Cette étape évaluative permet d’aborder les spécificités propres à chaque animal douloureux et, par conséquent, la nécessité d’un projet thérapeutique individualisé et durable. 

Les grilles multiparamétriques d’évaluation de la douleur (CSOM, CBPI, FMPI …) seront partagées avec le propriétaire. Les versions digitales autorisent un remplissage rapide des valeurs, un archivage dans la durée, la visualisation rapide des résultats sous forme de graphique, enfin le partage instantané des données entre le propriétaire et l’équipe vétérinaire.

3.3.2 L’éducation thérapeutique consiste à donner des compétences de soins :

Connaissance des techniques de massages, de conduite d’exercices physiques à faible impact, de la balance bénéfices/ risques des AINS, des anti-épileptiques ou des psychotropes, des bonnes règles d’administration des médicaments (voie orale, transmucosale, etc.). 

 

En conclusion, l’éducation thérapeutique a la double vertu d’autonomiser le propriétaire et de valoriser ses responsabilités dans la recherche du bien-être de son animal de compagnie. 

En expliquant la douleur, en donnant les clés de l’évaluation, en valorisant le projet de soins, l’éducation thérapeutique est une remarquable source motivationnelle d’observance réussie.

3.4 Savoir être : Empathie

L’empathie est un moyen de communication inter-individuelle défini par la capacité de partager et de comprendre les émotions d’autrui. 

Goubert L, Craig KD, Vervoort T, Morley S, Sullivan MJL, Williams de CAC, Cano A, Crombez G. Facing others in pain: the effects of empathy. Pain 2005 Dec 5, 118, 285–288. 

L’empathie, en valorisant la subjectivité de l’expérience de la douleur, devient une attitude thérapeutique déterminante dans l’approche des douleurs chroniques.

L’empathie est le résultat d’un processus en 4 étapes :

  1. Observer/Prendre conscience de l’état émotionnel de quelqu’un
  2. Ressentir la même émotion (de manière atténuée)

    L’empathie émotionnelle
    L’empathie émotionnelle est la capacité à partager ou à être émotionnellement stimulé par les états émotionnels des autres.
    Le vétérinaire en empathie présente un état émotionnel similaire à celui du propriétaire mais atténué ou différent mais toujours cohérent par rapport à la situation (ex : éprouver de la compassion pour le propriétaire en souffrance).
    L’état émotionnel est alors partiellement focalisé sur l’autre, ce qui aboutit souvent à un comportement de sollicitude, d’aide et de propositions de services.

  3. Interpréter avec justesse cet état émotionnel
    L’empathie cognitive.
    L’empathie cognitive permet de comprendre la situation perçue et de deviner les liens affectifs tissés entre le propriétaire et son animal. Elle implique la mise en perspective et l’attribution d’états mentaux notamment sur les rapports avec la mort, le deuil, le refus d’euthanasie, la culpabilité du défaut de soins …

  4. Réagir/Répondre à l’émotion
    L’empathie motivationnelle
    L’empathie motivationnelle engage un propriétaire averti (fausses croyances, éducation thérapeutique) dans ses réflexions mais aussi dans ses actions pour corriger le mal-être associé aux douleurs chroniques de son animal.

Conclusion

L’Alliance Thérapeutique est indissociable d’une médecine pro-active de la douleur, basée sur la culture de la médecine préventive d’affections chroniques douloureuses, en lieu et place d’une médecine encore trop souvent dominée par des approches réactives, suite à des accès douloureux paroxystiques ou à une dégradation de l’état de l’animal. 
L’approche pro-active implique les compétences reconnues de l’équipe vétérinaire (praticiens et ASV), les compétences en devenir des propriétaires et l’inscription de l’animal douloureux dans un parcours de suivi évaluatif et thérapeutique.
L’Alliance Thérapeutique s’éloigne ainsi de la tentation simpliste des « guidelines » thérapeutiques, des procédures automatisées et des protocoles normés (arbres décisionnels uniformes) qui ne tiennent pas compte de la complexité des douleurs chroniques.
L’Alliance Thérapeutique en tenant compte de chaque compagnonnage spécifique au couple propriétaire-animal et de la souffrance multimorphe de l’animal douloureux, oriente avantageusement  le praticien vers des solutions thérapeutiques personnalisées, acceptées et réalisées au quotidien.  
 

Abréviations :

AT : Alliance thérapeutique

CBPI : Canine brief pain inventory

CSOM : Client-Specific Outcome Measures

FMPI: Feline musculoskeletal index

LCA : Ligament croisé antérieur

NGF : Nerve growth factor

NPUA : Non union du processus anconé

OCD : Ostéochondrite disséquante

OMS : Organisation Mondiale de la Santé

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