Tramadol : Actualités sur les indications

10 février 2020

Le tramadol est un analgésique central de synthèse (1962) dont la structure chimique est proche de celle de la morphine et de la péthidine.
En 1973, le tramadol a été découvert à l’état naturel dans l’écorce des racines d’un pêcher africain (Nauclea latifolia), ce qui constitue une situation inédite de biomimétisme inversé.

1° Modes d’action et Propriétés pharmacologiques

Le tramadol est un mélange racémique de deux énantiomères chirales (50% dextrogyre R et 50% lévogyre S), images l’un de l’autre dans un miroir plan mais non superposables (1).

Cette double configuration stéréochimique autorise la fixation sur des récepteurs différents avec en conséquence des comportements et des propriétés variées.

1.1 Action opioïde

La forme dextrogyre (+) se fixe avec une affinité modérée sur les récepteurs µ et faible sur les récepteurs κ et δ : la fermeture présynaptique des canaux calciques bloque la libération des neurotransmetteurs excitateurs et l’ouverture post-synaptique des canaux potassiques entraine une hyperpolarisation limitant la propagation de l’influx nociceptif.

L’action opioïde est imputée au dérivé O-déméthylé (M1), pharmacologiquement actif et 200 fois plus affin pour les récepteurs µ que la molécule mère. Un iso-enzyme CYP2D6 du cytochrome P450 est nécessaire pour cette métabolisation hépatique.

De nombreuses variations génétiques de ce cytochrome déterminent chez l’homme des phénotypes différents qualifiant les patients de métaboliseurs lents (gène absent ou défectueux), rapides (gène exprimé normalement), ultrarapide (surexpression de plusieurs copies du gène).

Il est probable que cette diversité génétique se retrouve encore plus parmi les 384 races canines reconnues et qu’elle puisse expliquer que le taux de métabolite actif M1 retrouvé chez le chien est plus faible que chez l’être humain (2).

Le chat produit plus de M1 que le chien et la réponse thérapeutique des douleurs arthrosiques au tramadol est le plus souvent très satisfaisante dans cette espèce : augmentation du pic de force verticale, de l’activité motrice nocturne et réduction de la sommation temporelle mécanique témoin de l’hypersensibilisation centrale (3)

Chez le chien il faut compter davantage sur l’effet sérotoninergique jouant un rôle indéniable sur la composante émotionnelle de la douleur.

1.2 Action monoaminergique

La forme dextrogyre (+) inhibe la recapture de la sérotonine. La forme lévogyre (-) se lie aux récepteurs α-2 adrénergiques et inhibe la recapture de la noradrénaline.

Ainsi le tramadol participe aux contrôles inhibiteurs descendants issus du noyau raphé médian et du locus coeruleus du bulbe rachidien. L’implication de ces mécanismes non morphiniques est confirmée par plusieurs études cliniques chez l’homme qui montrent que les effets analgésiques du tramadol ne sont que partiellement antagonisés (30%) par la naloxone.

Chez l’homme, l’activité antalgique est supérieure à l’effet additif des deux composants, en raison de la synergie entre l’effet opioïde et l’effet monoaminergique central (4)

1.3 Autres modes d’action centraux

Les contrôles inhibiteurs endogènes sont augmentés également car le tramadol inhibe les récepteurs alpha-2 adrénergiques, les récepteurs NK1 (neurokinine 1) et les canaux ioniques via le récepteur nicotinique de l’acétylcholine et le récepteur NMDA(5).

La connaissance de ces mécanismes pharmacologiques est importante car elle évite des associations malencontreuses et permet d’argumenter sur la controverse récente autour de l’affirmation de l’inefficacité antalgique du tramadol chez le chien.

1.4 Pharmacodynamie

Chez le chien, le tramadol est rapidement absorbé par voie orale (45 mn). La biodisponibilité est faible et très variable, pouvant aller de 2,5 % chez le Greyhound (6) à 65 ± 38 % chez le Beagle (1), alors qu’elle est de 60-70 % chez l’Homme. La durée d’action du tramadol après administration per os est de 6 à 12 heures et de 6 à 7 heures après injection intraveineuse ou intramusculaire (7).

Le taux de fixation aux protéines plasmatiques est faible (20%) ; le tramadol diffuse dans les tissus vascularisés et traverse les barrières hémato-méningées et placentaires (1).

L’élimination se fait principalement par les reins, la demi-vie d’élimination étant d’environ 0,5 à 2 heures.

2° Indications

En médecine humaine, le tramadol est classé avec les antalgiques de palier 2 (8).

Selon le RCP du Tralieve, la dose recommandée pour la prise en charge des douleurs aiguës et chroniques d’intensité légère (palier 1) au niveau des tissus mous et du système musculo-squelettique, est de 2 à 4 mg de chlorhydrate de tramadol par kg de poids corporel toutes les 8 heures ou selon les besoins, en fonction de l’intensité des douleurs.

CAPdouleur conseille de l’utiliser plutôt comme antalgique de palier 2 pour gérer au retour à domicile les douleurs post-opératoires lors de mammectomie, de thoracotomie, de chirurgie orthopédique ou touchant la sphère ORL, de chirurgies carcinologiques avec les conditions cumulatives suivantes :

Titration obligatoire et raisonner plutôt en surface corporelle pour limiter la sédation

Information du propriétaire sur le rapport bénéfices/risques, sur la variabilité des effets analgésiques et donc sur la nécessité d’évaluer les résultats (éducation thérapeutique).

Le tramadol vient alors prendre le relais, à la maison, de la prise en charge multimodale de la douleur peropératoire (perfusion opioïdes à débit constant, anesthésie locorégionale, anti-hyperalgésiques …) en complément d’un AINS, à la posologie de 2-4 mg/kg toutes les 6 à 8 heures pendant 24 à 48 heures, en fonction des douleurs ressenties par l’animal.

Le tramadol est particulièrement intéressant lorsque les AINS sont contre-indiqués : pyomètres, chirurgies du tube digestif, animaux insuffisants rénaux par exemple.

Lors de douleurs inflammatoires et mixtes, chroniques telles que les douleurs arthrosiques, le tramadol peut être un analgésique de secours en complément d’un AINS, des biothérapies et des moyens non pharmacologiques.

L’association tramadol et gabapentine donne de bons résultats pour soulager les douleurs neuropathiques (traitement de fond et des crises paroxystiques) lors de hernie discale notamment ou lors de douleur chronique post-opératoire.

Face aux douleurs cancéreuses, l’association tramadol et AINS anti COX2 sélectifs permet également de gérer la douleur de fond et les pics algiques.

Le plus important avec le tramadol est la possibilité qu’offre cette molécule de moduler sa prescription pour s’adapter au patient. De retour à la maison après une chirurgie, le propriétaire peut donner ou non un comprimé en fonction de la douleur exprimée par son animal. Face à un patient arthrosique, il est possible de donner une dose moins élevée le matin pour que le chien puisse être actif en journée. Lors de douleur chronique, le tramadol vient, en plus du traitement de fond au long cours, soulager les épisodes aigus de douleurs nociceptives et intermittents (notion de rescue dose).

Cf exemples

Boston Terrier femelle, 5 ans, 7,3 kg

Douleurs chroniques post-opératoires (suite reprise luxation rotule : sulcoplastie trochléaire et transposition de la crête tibiale) : Douleurs spontanées, de type décharges électriques, décalées du temps opératoire (6 mois), réfractaires aux AINS. Prise en charge avec succès des douleurs neuropathiques par un traitement de fond (gabapentine 50 mg BID) et par la gestion des accès paroxystiques (tramadol 30 mg BID)

Mastiff femelle, 7 ans, 67 kg

Arthrose bilatérale sévère des grassets avec ankylose. Score Dolodog 31 : Douleurs sévères sans composante neuropathique associée. Intolérance digestive aux AINS. La prise quotidienne de tramadol (200 mg le matin, 100 mg le soir) depuis 1 an permet au chien de se relever et de diminuer le ressenti douloureux sans améliorer significativement la fonction. Le nomadisme médical du propriétaire est dû à des avis très contradictoires sur l’opportunité d’une double TPLO. L’injection intra-articulaire de cellules souches mésenchymateuses néonatales a permis une récupération fonctionnelle spectaculaire et durable (26 mois à ce jour) : score Dolodog 10-14 ; la prescription de tramadol est renouvelée pour gérer les accès paroxystiques (environ 40 administrations au cours des 780 jours de suivi).

3° Contre-indications

L’association de tramadol avec les médicaments suivants est contre indiquée en raison du risque de survenue d’un excès de sérotonine dans le sang à l’origine d’un syndrome clinique sérotoninergique :

  • Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) : fluoxétine, floxyfral
  • Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et la noradrénaline (IRSN) : mirtazapine, duloxétine.
  • Inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO-B) : séléginine Selgian
  • Antidépresseurs tricycliques (AD3C): clomipramine Clomicalm
  • Amidine : amitraz
  • Précurseurs de la sérotonine : L-tryptophane
  • Agonistes sérotoninergiques : triptans

Les ISRS, les IRSN, les AD3C et le tramadol inhibent la recapture de la sérotonine au niveau pré-synaptique. Les IMAO-B et les amidines inhibent le métabolisme de la sérotonine.

Le syndrome sérotoninergique est caractérisé par une hyperactivité autonome (hyperthermie, tachycardie, tachypnée, mydriase, diarrhée), une hyperactivité neuromusculaire (tremblements, myoclonies, hyperréflexie, rigidité, crises épileptiformes) et une altération de l’état mental (agitation, excitation, choc et CIVD).

Les antagonistes des récepteurs de la sérotonine, tels que la cyproheptadine et la chlorpromazine, peuvent être bénéfiques dans la gestion du syndrome sérotoninergique. La cyproheptadine est administrée par voie orale ou écrasée et administrée par voie rectale à raison de 1,1 mg/kg chez le chien ou de 2 à 4 mg (dose totale) chez le chat toutes les 4 à 6 heures. La chlorpromazine peut être administrée à raison de 0,5 mg/kg par voie IV, IM ou SC toutes les 6 heures en surveillant étroitement les effets secondaires d’hypotension et de sédation.

Le pronostic des syndromes sérotoninergiques induits par des doses excessives d’ISRS est excellent : aucun décès chez 313 chiens intoxiqués (9)

4° Effets indésirables

Une enquête de pratique de prescription* menée par Capdouleur du 10 janvier au 10 février 2018 parmi 160 vétérinaires ayant répondu, a permis de mieux connaître les habitudes des praticiens concernant la prescription de tramadol et les effets indésirables relevés (10).

Le tramadol peut entraîner de la sédation, des vomissements, de l’agitation, des tremblements, de la dysphorie, des convulsions. Les effets secondaires peu prévisibles dépendent de la quantité de M1 synthétisée par l’animal et de la recapture de la sérotonine.

Dans les faits, la sédation est observée à forte dose, les nausées et vomissements sont peu fréquents et les convulsions très rares.

5 Législation

Le tramadol n’est pas un stupéfiant. Classé en liste 1 des substances vénéneuses, il est prescrit sur ordonnance simple, à priori non renouvelable sauf mention contraire, la quantité maximale délivrée couvre les besoins pour un mois.

Bibliographie Tramadol

1 Kukanich B, Papich M. (2004). Pharmakokinetics of tramadol and the metabolite O- desmethyltramadol in dogs. J Vet Pharmacol Therap, 27, pp. 239-246.
2 Kukanich B. Outpatient Oral Analgesics in Dogs and Cats Beyond Nonsteroidal Antiinflammatory Drugs: An Evidence-based Approach. Vet Clin Small Anim 43 (2013) 1109–1125
3 Beatriz P. Monteiro, Mary P. Klinck, Maxim Moreau, Martin Guillot, Paulo V. M. Steagall, Jean-Pierre Pelletier, Johanne Martel-Pelletier, Dominique Gauvin, Jérôme R. E. del Castillo, Eric Troncy. Analgesic efficacy of tramadol in cats with naturally occurring osteoarthritis. PLoS One. 2017; 12(4): e0175565.
4 Desmeules J, Piguet V, Collart L, Dayer P. (1996). Contribution of monoaminergic modulation to the analgesic effect of tramadol. Br J Clin Pharmacol, 41, pp. 7-12.
5 Minami K, Ogata J, Uezono Y. What is the main mechanism of tramadol? Naunyn Schmiedebergs Arch Pharmacol 2015; 388: 999–1007.
6 KuKanich B, KuKanich K, Black J. 2017. The effects of ketoconazole and cimetidine on the pharmacokinetics of oral tramadol in greyhound dogs. J Vet Pharmacol Ther 40:e54–e61.
7 Giorgi M. et al. Pharmacokinetics of tramadol and metabolites after injective administrations in dogs. Pol J Vet Sci. 2010;13(4):639-44.
8 Vuillet A, Ciles H. et al. Les médicaments de la douleur : les antalgiques de palier II. Actualités Pharmaceutiques. Volume 52, Issue 527, June 2013, Pages 27-30.
9 Thomas DE, Lee JA, Hovda LR. Retrospective evaluation of toxicosis from selective serotonin reuptake inhibitor antidepressants: 313 dogs (2005-2010). J Vet Emerg Med Crit Care 22:676–681, 2012.
10 Chamard V. Le tramadol est une molécule efficace contre la douleur. La semaine vétérinaire. 9 Mars 2018. N° 1754 : p23

Pour aller plus loin

CONTROVERSE TRAMADOL : L’absence de preuve n’est pas preuve d’absence.

Retrouvez les résultats de l’enquête de pratiques de prescription de décembre 2019.

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