Quoi de neuf dans la famille
des alpha-2 agonistes : la médétomidine

Résumé issue de la présentation de Gwenola Touzot-Jourde aux journées annuelles de l’AVEF à REIMS (2022).

12 décembre 2022

« Quoi de neuf dans la famille des alpha-2 agonistes : la médétomidine »

La médétomidine est un sédatif-analgésique de la classe des α2-agonistes. La solution est un mélange racémique des isomères dextro (dexmédétomidine, composé actif) et lévogyre. Médétomidine (1 mg/ml) et dexmédétomidine (0,5 mg/ml) bénéficient d’une AMM chez le chien et le chat. Plusieurs spécialités existent (Domitor®, Dorbene Vet®, Dormilan®, Medetor®, Narcostart®, Sedator® pour la médétomidine et Dexdomitor®, Dexmopet®, Sedadex® pour la dexmédétomidine). 

Utilisation chez le cheval soit hors AMM en appliquant les principes de la cascade de prescription et par conséquent, uniquement pour les chevaux exclus de la filière bouchère, les effets des 2 molécules ont été documentés chez le cheval sur les 20 dernières années aussi bien dans le cadre d’interventions sur cheval debout que comme adjuvant de l’anesthésie générale dans des protocoles d’anesthésie balancée

LA MOLECULE 

La médétomidine [4-(1-(2, 3 diméthylphényl) éthyl)-1H-imidazole] est un sédatif-analgésique exerçant une action agoniste au niveau des récepteurs adrénergiques α2, tout comme la xylazine, la détomidine et la romifidine, molécules contenues dans différentes spécialités vétérinaires ayant un AMM chez le cheval en France et en Europe. Les premières utilisations de la médétomidine chez le cheval datent du début des années 90 avec une intensification de son évaluation à partir des années 2000. Les récepteurs adrénergiques α2 sont largement distribués en position pré et post-synaptiques sur l’ensemble du système nerveux central mais aussi dans les tissus périphériques (récepteurs vasculaires entre autres). 

Ils sont à l’origine de larges effets sur différentes fonctions (encadré 1) : la diminution de la vigilance au niveau du locus coeruleus du tronc cérébral, la myorelaxtion et l’analgésie (effet supraspinal et spinal) constituent les principaux effets recherchés[1]. Chez le cheval, cette classe de molécules a révolutionné la gestion de l’anesthésie et se place au centre des protocoles d’immobilisation que ce soit pour réaliser une intervention sur cheval debout ou sous anesthésie générale

 

La médétomidine est la molécule la plus sélective pour les récepteurs α2 (sélectivité α2:α1 => 1620:1), ce qui pharmacologiquement lui donne une supériorité en termes de qualité de l’analgésie et de sécurité cardiovasculaire par rapport à d’autres molécules moins sélectives ( sélectivité α2:α1 => xylazine 160:1, détomidine 260:1, romifidine 340:1). De plus, elle détient un profil pharmacocinétique particulièrement intéressant pour une administration en perfusion continue à débit constant (CRI : Constant Rate Infusion). Son temps de demi-vie d’élimination chez le cheval et le poney est court (30-50 min) et sa clairance rapide ce qui permet d’obtenir un approfondissement ou un allègement rapide des effets en faisant varier la dose [2,3].

 

UTILISATION POUR LA SEDATION 

Les doses testées  pour une sédation prolongée avec la médétomidine sont un bolus initial de 5 mcg/kg IV suivi d’une CRI à 3,5-5 mg/kg/h pouvant être augmentée jusqu’à 6-7 mcg/kg/h. 

La molécule a été comparée à la détomidine (bolus de 10 mcg/kg puis CRI de 6 mcg/kg/h) dans le cadre de sédation prolongée (>90 minutes) pour traitement par brachythérapie de tumeurs périoculaires [4]. Les 2 protocoles qui comprenaient aussi du butorphanol ont été jugés satisfaisants avec bonne immobilité de la tête, quelques mouvements d’oreilles plus fréquents avec la médétomidine. L’étude ne documente pas le degré d’ataxie ni de la durée entre la fin de l’administration et la fin de la sédation-sortie du travail mais n’observe pas de différence dans la reprise du transit, l’appétit et la survenue du premier crottin. 

Deux études ont documenté l’utilisation de la médétomidine pour une sédation sur des juments subissant une laparoscopie. Le protocole de la première inclut un bolus de médétomidine (5 mcg/kg IV) et de morphine (0,05 mg/kg suivi d’une CRI de médétomidine (5 mcg/kg/h) et de morphine (0,03 mg/kg/h) pour plus de 150 minutes.5 La sédation a été complétée sur la première heure par un ou plusieurs bolus de médétomidine (0,5 mcg/kg) et associée à une ataxie légère à modérée alors qu’après une heure, la sédation était profonde avec une ataxie modérée (appui sur les 4 pieds) et un degré un peu plus marqué sur quelques chevaux.

L’étude conclut sur une bonne qualité d’immobilisation et d’analgésie de la combinaison médétomidine/morphine avec une ataxie modérée apportant une stabilité des membres et du corps pendant l’intervention ainsi qu’une fonction cardiorespiratoire stable et peu diminuée par rapport à la mesure pré-sédation (mesure des gaz du sang artériel et du débit cardiaque). Un possible effet cumulatif (sédation et ataxie augmentant) après une heure est néanmoins relevé. Pour la deuxième étude, la technique de répétition de bolus a été choisie [6]. Un bolus initial de médétomidine à 5 mcg/kg IV et de butorphanol à 10 mcg/kg (0,01 mg/kg) était suivi de bolus de médétomidine à 1 mcg/kg et de butorphanol à 4 mcg/kg toutes les 15 minutes. La sédation a été jugée profonde avec les caractéristiques classiques de baisse de la tête, paupière et lèvres relâchées, diminution marquée des mouvements et augmentation du polygone de sustentation. Le score d’ataxie était de ¾ (balancement et appui contre un support). Le score analgésique était de 8/10

La technique par bolus répété paraît apporter plus d’ataxie que l’administration en perfusion continue.

UTILISATION EN ANESTHESIE BALANCEE

 Le concept de l’anesthésie balancée se définit comme une association d’agents pharmacologiques qui agissent ensemble par effets additifs à synergiques pour apporter les caractéristiques nécessaires à l’anesthésie, à savoir narcose/inconscience, myorelaxation et analgésie, tout en minimisant les effets secondaires par rapport à une anesthésie mono-molécule nécessitant par conséquent une dose bien supérieure de cet agent unique. Elle associe un agent anesthésique principal, la plupart du temps un anesthésique halogéné comme l’isoflurane, et d’autres molécules analgésiques, sédatives et/ou myorelaxantes, ou encore en association avec des techniques d’anesthésie loco-régionale. 

Chez le cheval en particulier, l’amélioration des caractéristiques de réveil est particulièrement recherchée[2,3]. La stabilité cardio-respiratoire est aussi avantageuse, spécialement lors d’anesthésie sur des chevaux à risque augmenté comme les coliques. L’autre nom utilisé pour décrire cette technique d’anesthésie générale est l’anesthésie partiellement intraveineuse (PIVA : Partial IntraVenous Anesthesia) en contraste avec l’anesthésie intraveineuse totale (TIVA : Total Intravenous Anesthesia). 

L’administration d’une CRI de médétomidine (3,5 mcg/kg/h) procure un effet d’épargne du besoin en isoflurane estimé à 20% [3]. Cliniquement, pour une large variété d’interventions (tissus mou et osseuse), la concentration expirée efficace en isoflurane (EndTidal iso = ETiso) se situe entre 1 et 1,2% (mesure obtenue par échantillonnage des gaz expirés avec un moniteur multiparamétrique disposant d’un module gaz complet : CO2, O2 et agent halogéné). 

La perfusion continue est initiée une fois le cheval placé sur la table d’opération et l’isoflurane en début d’administration. La médétomidine peut être utilisé comme agent de sédation pour l’induction de l’anesthésie (dose de 5- 7 mcg/kg, effet en quelques minutes) ou être administrée au bloc après l’utilisation de la romifidine ou de la xylazine pour la sédation initiale. La CRI est arrêtée à la fin de l’anesthésie. Il peut être nécessaire de la redoser dans le box de réveil si un nystagmus est présent (1-2 mcg/kg). 

De multiples études cliniques ont documentés une bonne qualité de réveil (calme, peu d’essais de relever et peu d’ataxie) avec des durées d’anesthésie allant de 60 à 240 minutes et une durée moyenne de réveil de 40 à 60 minutes (fin anesthésie-debout) chez des chevaux en bonne santé

Une étude récente a comparé lors d’une anesthésie de 140-150 minutes : Isoflurane ETiso 1,1% et morphine 0,1 mg/kg IM 20 minutes avant le réveil à l’administration de médétomidine (sédation à 7 mcg/kg pour induction avec diazépamkétamine suivie d’une CRI à 3,5 mcg/kg/h pendant l’entretien de l’anesthésie puis redosée à 2 mcg/kg pour le réveil) avec la xylazine (sédation à 1,1 mg/kg pour induction avec diazépam-kétamine suivie d’une CRI à 0,69 mg/kg/h pendant l’entretien de l’anesthésie puis redosée à 0,3 mg/kg pour le réveil) [7].

Pour les 2 protocoles, la qualité de l’anesthésie a été jugée équivalente avec de bons réveils d’une dizaine de minutes plus long avec la médétomidine que la xylazine (59-65 min versus 45- 52 min avec un passage par un décubitus sternal de 15-20 minutes et 50 % des chevaux debout dès le premier essai de relever pour les 2 molécules). Les effets cardiovasculaires du protocole ont été jugé similaires et moindre que ce qui est documenté avec la détomidine ou la romifidine.

En conclusion, la médétomidine paraît être une option pour la sédation longue durée et pour l’anesthésie balancée à la fois pour ses caractéristiques analgésiques qui semblent être équivalentes à supérieures aux autres molécules 2- agonistes tout en garantissant un degré d’ataxie moindre et une bonne qualité de réveil même sur des anesthésies prolongées. La dépression cardiorespiratoire en particulier lors de l’anesthésie générale gagnerait à être mieux documentée mais paraît possiblement moindre qu’avec la romifidine et la détomidine. Son utilisation reste néanmoins restreinte aux chevaux exclus de la filière bouchère.

Encadré 1 : Effets cliniques des 2-agonistes (intensité et durée des effets molécule et dose-dépendants) 

  • Sédation 
  • Analgésie centrale (encéphale), spinale et périphérique (récepteurs le long des voies de la douleur)
  • Effets cardiovasculaires en 2 phases, une première phase périphérique avec vasoconstriction et bradycardie réflexe résultant en une augmentation de la pression artérielle et une baisse du débit cardiaque suivie par une bradycardie centrale et une vasodilatation entraînant une baisse de la pression artérielle pouvant parfois aller jusqu’à l’hypotension. La bradycardie et la diminution du débit cardiaque sont responsables d’un ralentissement de la circulation se manifestant par une augmentation du temps de remplissage jugulaire
  • Diminution de la fréquence respiratoire, possible tachypnée temporaire (environ 15 min) en particulier chez les chevaux fébriles (mécanisme non élucidé) 
  • Diminution de la motilité digestive et relaxation intestinale 
  • Effets métaboliques : diminution tissulaire du besoin en O2, diminution de la sécrétion d’ADH (effet diurétique), d’ACTH (diminution du cortisol), d’insuline (hyperglycémie)

Références : 

  1. Gozalo-Marcilla M, Gasthuys F, Schauvliege S. Partial intravenous anaesthesia in the horse: a review of intravenous agents used to supplement equine inhalation anaesthesia. Part 2: opioids and alpha-2 adrenoceptor agonists. Vet Anaesth Analg. 2015 Jan;42(1):1-16. doi: 10.1111/vaa.12196. 
  2. Valverde A. Balanced anesthesia and constant-rate infusions in horses. Vet Clin North Am Equine Pract. 2013 Apr;29(1):89-122. doi: 10.1016/j.cveq.2012.11.004. 
  3. Valverde A. Alpha-2 agonists as pain therapy in horses. Vet Clin North Am Equine Pract. 2010 Dec;26(3):515-32. doi: 10.1016/j.cveq.2010.07.003.
  4. Hollis AR, Pascal M, Van Dijk J, Jolliffe C, Kaartinen J. Behavioural and cardiovascular effects of medetomidine constant rate infusion compared with detomidine for standing sedation in horses. Vet Anaesth Analg. 2020 Jan;47(1):76-81. doi: 10.1016/j.vaa.2019.06.009. 
  5. Solano AM, Valverde A, Desrochers A, Nykamp S, Boure LP. Behavioural and cardiorespiratory effects of a constant rate infusion of medetomidine and morphine for sedation during standing laparoscopy in horses. Equine Vet J. 2009 Feb;41(2):153-9. doi: 10.2746/042516408×342984. 
  6. Kim A, Sasaki N, Lee I, Seo JP. Comparison of intraoperative cardiorespiratory and behavioral responses to medetomidine combined with tramadol or butorphanol during standing laparoscopic ovariectomy in horses. J Vet Med Sci. 2021 Apr 9;83(4):643-647. doi: 10.1292/jvms.20-0397. 
  7. Wiederkehr A, Barbarossa A, Ringer SK, Jörger FB, Bryner M, Bettschart-Wolfensberger R. Clinical Randomized Comparison of Medetomidine and Xylazine for Isoflurane Balanced Anesthesia in Horses. Front Vet Sci. 2021 Apr 20;8:603695. doi: 10.3389/fvets.2021.603695. 
  8. Is there a place for dexmedetomidine in equine anaesthesia and analgesia? A systematic review (2005- 2017). 9. Gozalo-Marcilla M, Gasthuys F, Luna SPL, Schauvliege S. J Vet Pharmacol Ther. 2018 Apr;41(2):205-217. doi: 10.1111/jvp.12474. 
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